La finca de Los Cachimbos, le combo franco-colombien qui innove !
Perdue au milieu des collines de caféiers se trouve une ferme bien différente de ses voisines, issue de l'union d'un français des Alpes et d'une colombienne de Cali. Maxime y a séjourné 3 semaines pour y découvrir de multiples activités : permaculture, agroforesterie, cultures associées, élevage, apiculture, semences, écoconstruction... tout y est ! En prime quelques belles découvertes tirées des indigenas d'Amazonie, bienvenus dans la finca de Los Cachimbos !
Avant de rentrer dans le vif du sujet un petit point sur l'histoire, encore toute jeune, de la ferme. Nous sommes en 2008, Denis Guasco, issu des campagnes des Hautes-Alpes et Cynthia Osorio Torres, déjà impliquée dans les alternatives sociales et agricoles, achètent un terrain de 7 hectares, avec des idées et des rêves plein la tête. Accompagnés de leur fille Laïa, 8 ans aujourd'hui, ils ont relevé le défi de bâtir une ferme écologique et autonome. Au vu de l'état initial du terrain, c'est-à-dire pas grand-chose, il aura fallu un peu d'imagination et une sacrée énergie pour en arriver à l'état actuel. Petite photo d'époque pour vous donner une idée.
En quelques années, et aussi pas mal de visiteurs (amis, famille, voisins et volontaires, tout le monde a mis la main à la pâte) la ferme est méconnaissable. Aujourd'hui c'est surtout Denis qui travaille dedans. Intéressé depuis longtemps par les alternatives agricoles et sociales, cette ferme lui permet d'assouvir sa passion et d’expérimenter comme bon lui semble ses idées. Cynthia est déjà bien prise avec la Red De Guardianes De Semillas De Vida. Elle est une actrice majeur du réseau de la région Cauca, notamment grâce à ses connaissances en économie, sociale, langue, informatique... Mais elle ne s’arrête pas là, Cynthia a aussi d'autres engagements, notamment avec l'école de Pescador. Comme dans de nombreux villages ruraux de Colombie, l'école a quelques problèmes à fournir un enseignement de qualité à ses élèves. Cynthia donne beaucoup d'énergie pour améliorer les conditions via des événements pour collecter des fonds, organiser des activité pour les élèves, aider les professeurs... et ici aussi on cherche des volontaires. A bon entendeur !
Mais revenons sur la ferme. Sur tout ce monde qu'elle a vue défiler, deux personnes ont fini par rester. César et Juliana, un jeune couple colombien voisin, sont aujourd'hui employés. César est un Naza et Juliana une Güambiana, autrement dit, ils sont issus de deux tribus indigenas différentes.Véritable fourmi, non pas parce qu'il est effectivement petit mais plutôt parce que c'est un travailleur infatigable, César possède une bonne expérience de l'agriculture locale et a en plus un sacré coup de machette ! Après son travail quotidien à la ferme, il cultive dans la sienne ses caféiers sans produits chimiques, ça va de soi. Juliana quant à elle, travaille tout autant sur la ferme de Denis et Cynthia que dans leur maison pour aider aux tâches quotidiennes. C'est aussi une mine de connaissance sur les savoir-faire locaux (cuisines, artisanats...) et elle est peut-être un peu apprentie sorcière quand on la voit inventer en un rien de temps une « potion » à base des plantes de la ferme pour se débarrasser des fourmis...
Les fourmis défoliatrices sont capables de déplumer un arbre en un rien de temps. Mais ces terribles faucheuses ne coupent pas les feuilles pour elles, elles emmènent le butin dans la fourmilière pour nourrir...un champignon, dont elles vont se nourrir après l'avoir cultivé ! Ces fourmis sont un peu agricultrices aussi !
Des volontaires sont aussi accueillis régulièrement sur la ferme. C'est ainsi que je me retrouve à travailler avec Marguerita, une italienne porteuse elle aussi d'un projet sur les alternatives et les semences paysannes. Le boulot ne manque pas et la diversité du lieu permet de travailler sur quantité d'activités différentes. Car on trouve de tout ici, en petite quantité certes, mais de tout !
Actuellement la vocation première de la ferme est de produire des semences paysannes, en particulier pour la red de guardianes de semillas de vida, réseau dans lequel la ferme est membre. C'est pourquoi on retrouve une diversité de plantes maraîchères et céréalières si importante ci : maïs, amarantes, haricots, tomates, pois d'Angole... la liste est longue ! Afin de ne pas avoir de problème d'hybridation, on ne cultive pas plus de 2 ou 3 variétés de chaque espèce afin que les semences redonnent bien les mêmes plantes qu'à l'origine.
Réunir sur un même espace plusieurs variétés d'une même espèce (d'une même plante) pose quelques problèmes. La plupart vont s'hybrider (rien à voir avec les OGM où les F1 ce coup-ci, c'est naturel) et leurs descendances auront tendance à donner des plantes plus ou moins différentes de l'originale. Chose peu souhaitable quand on veut vendre les graines d'une variété donnée. Mais le travail du semencier ne s’arrête pas à la culture et la récolte des semences. Il est parfois assez long est compliqué de produire des graines « propres », c'est-à-dire sans autres résidus. Il faut décortiquer, trier, laver, tamiser... chaque espèce a ses exigences ! Le concombre ou la tomate par exemple, nécessitent de faire tremper les graines quelques jours dans l'eau pour qu'un processus de fermentation naturel se mette en place (des moisissures apparaissent) et permette par la suite de séparer facilement la graine de son enveloppe protectrice, néfaste à la germination. Les graines sont ensuite mises à sécher. C'est seulement après un passage au congélateur pour les espèces sensibles, afin d'éliminer les parasites éventuels, qu'elles peuvent être empaquetées et vendues.
On cultive sur la ferme une parcelle de 50m² de canne à sucre qui fournit en partie la maison en panela (sucre non raffiné délicieux et plein de minéraux, rien à voir avec le sucre blanc!). En plus de toutes ces cultures, Denis élève quelques chèvres qui possèdent leurs étables (de luxe!) tout en bambou. Elles ont la chance d'avoir leurs propres pâturages, divisés en petites parcelles avec une rotation de 8 jours pour ne pas abîmer l'herbe. A côté des biquettes, les lapins sont élevés en clapiers et permettent de recycler, avec les poules, les déchets de cuisine et jusqu'aux « mauvaises herbes » (qui deviennent en quelque sorte de bonnes herbes!). La ferme comprend aussi une mare pour les canards et poissons, de quoi s'offrir une partie de pêche de temps à autre ! Enfin, on trouve trois ruches un peu à l'écart car les abeilles (un croisement afro-américain) sont d'un caractère plutôt mauvais (pour en avoir fait l'expérience!).
A part les semences, il n'y a pas encore beaucoup de produits à vendre pour l'heure mais on peut se vanter ici d'avoir de tout, gratuitement, sans intrants ni produits chimiques. L’intérêt premier d'avoir une ferme non ?
Réunir sur un même espace autant d'activités peut paraître compliqué et contraignant, en réalité il n'en est rien. Tout ici s'assemble et cohabite pour former un « agrosystème » proche d'un « écosystème » naturel. Pour en arriver à ce modèle remarquable de cohabitation, Denis a réuni ici tout ce qu'il a trouvé de meilleur au cours de ses recherches et expériences antérieures, afin de les assembler judicieusement et avec logique. La ferme ressemble ainsi à un centre d’expérimentation en continuel renouveau !
Comme dans presque toutes fermes écologiques, on trouve ici un compost avec sa recette « maison » et ici on peut parler d'un compost express ! Alors qu'un compost traditionnel demande plusieurs mois, on obtient ici en un mois un compost « jeune » prêt à utiliser. La rapidité du processus ici est due à la fragmentation des déchets, plus facile à dégrader pour les micro-organismes, ainsi qu'au fait de retourner régulièrement le tas. Cela apporte de l’oxygène en abondance et booste l'activité de toutes les bestioles en action.
Des cultures associées sont mises en place ici comme le maïs et le haricot, un mélange bien connu utilisé traditionnellement dans toute l'Amérique Latine. Le haricot, comme la plupart des plantes de la famille des Fabaceae va s'autosuffire en azote mais également en fournir au maïs, qui lui va servir de tuteur au haricot. Echange de bons procédés !
Je ne vais pas vous présenter l'intégralité des pratiques expérimentées sur la ferme, cela ferait beaucoup de pages ! Mais une dernière me semble particulièrement intéressante.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, de nombreuses terres sous les tropiques et en particulier celles d'Amazonie, sont extrêmement fragiles et pauvres. Au-delà d'une couche d'humus, on trouve une argile ferrugineuse (rougeâtre car riche en oxyde de fer) dure, compacte et très pauvre en minéraux. C'est une des raisons qui rend la déforestation amazonienne si dramatique. Une fois mis à nus, les sols sont fertiles durant quelques années seulement, puis se transforment en un véritable désert stérile, emporté par les pluies diluviennes, brûlé par le soleil... Il faut savoir qu'en conditions tropicales, la détérioration des sols est 100 fois plus rapide qu'en régions tempérées !
Il semblerait, cela dit, que de très anciennes tribus aient trouvé une solution durable, on parle de la terra preta. Encore très méconnus, ces sols anthropologiques, donc d'origine humaine, sont d'une exceptionnelle fertilité. Celle-ci reste intacte et inégalée après quelques milliers d'années ! La terra preta consiste à intégrer dans le sol du charbon de bois, jusqu'à 10% du volume total du sol ainsi que de la terre cuite (jusqu'à 8%) et peut-être d'autres matériaux (farine d'os, poussière volcanique, litière de forêt...). Le charbon de bois est l’ingrédient le plus important, c'est une matière stable et particulièrement poreuse. 1 gramme de charbon peut contenir l'équivalent d'une surface de 500m² ! C'est une véritable niche pour les micro-organismes ainsi qu'un puits pour l'eau et les sels minéraux (les engrais). De plus, il permet d'alléger le sol, neutraliser les pluies acides... Bref que du bon. La terre cuite augmenterait elle aussi la porosité et aurait également un effet paramagnétique ! Rien de trop farfelu pour l'instant, c'est comme le magnétisme mais moins puissant. A l'échelle d'un sol, ça pourrait permettre de retenir de nombreux éléments fertilisants. Enfin, la particularité de la terra preta est sa capacité de régénération. En effet, les immenses surfaces découvertes de terra preta font aujourd'hui l'objet d'une exploitation industrielle. Et on a remarqué qu'en enlevant seulement une partie de la terre, celle-ci se régénère naturellement de l'ordre de 1 centimètre par an. Le procédé en action semble encore méconnu, en tout cas je n'en sais pas plus sur ce dernier point !
Bref, autant de bonnes raisons pour que Denis expérimente la terra preta sur la ferme ! Aujourd'hui quelques parcelles maraîchères en contiennent. Les cultures se portent à merveille et le sol est d'une qualité remarquable. Les vers de terre et les micro-organismes abondent, le sol est vivant. Difficile aujourd'hui de dire l'impact réel sur les productions, mais les bons résultats suffisent pour poursuivre l'expérience. Dénis s'est donc mis à faire des charbonnières ! D'ailleurs on a tout été embauché pour l'occasion (et honnêtement c'est pas de la tarte) !
Quant je vous dis que c'est pas de la tarte !
Un volcan ?
Ah oui un volcan !
Et voilà le résultat ! Un sacré boulot mais faut se dire que c'est pour 5 000 ans alors bon....
On a même l'occasion de faire de l'écoconstruction ici. Que ce soit pour les bâtiments des animaux ou la nouvelle maison de Denis et Cynthia, tout en bambou. Car le bambou ici, c'est le matériau à tout faire et on a la chance d'avoir en abondance une espèce unique. Le guadua (Guadua angustifolia) est un bambou géant endémique à l'Amérique du Sud (on ne le trouve qu'ici) aux propriétés physiques remarquables.
Une véritable richesse que Denis aimerait utiliser davantage, peut-être même en faire une production. Cette activité s’intégrerait en fait dans un projet (ou une volonté), plus grand : travailler en collectif.
Ce projet fait partie d'une idée d'amélioration et de développement de la campagne voisine au vu du constat actuel. Le pueblo de Pescador est aujourd'hui limité à la culture du café, mais cette culture, promue par les organismes agricoles en Colombie et associée à des pratiques intensives (engrais et pesticides entre autres) est mal rémunérée. Suite aux recommandations officielles, les paysans se sont fait caféiculteurs. Mais le café ne nourrit pas, il faut donc acheter sa nourriture. De quoi mener des conditions de vie plus ou moins précaires et rendre dépendants les paysans face aux cours du marché, sans grande possibilité d'évolution.
La finalité de la ferme serait donc de créer un lieu collectif où on pourrait venir y travailler, mettre en pratique ses savoir-faire et valoriser son travail. Bien que le changement semble compliqué et long, la nécessité actuelle donne toute crédibilité à ce projet qui mérite de se concrétiser.
Pour l'heure, le travail sur la ferme se fait entre la famille, César et Juliana, et les volontaires, à la fraîche de préférence. Les après-midi sont plus tranquilles et nécessitent seulement un peu d'attention pour les animaux. Sinon, c'est repos, balades dans les environs... Denis quand à lui passe un peu de temps à répéter pour son nouveau groupe ! On a même droit à notre petit concert privé !
Difficile pour moi de résumer mon séjour et toutes les activités de la ferme. Ce fut une très bonne expérience, un grand merci à Denis, Cynthia (et Laïa!), César, Juliana, Marguerita, et toute les personnes que j'ai pu rencontrer !
Pour finir les habituelles historiettes !
Laïa, 8 ans, parle couramment le français et l'espagnol !
On peut faire du « pop-corn » avec les graines d'amarante !
On récoltait tous les matins des orties, une des plantes pour nourrir les animaux. De quoi vous réveiller si ce n'est pas fait !
Denis nous préparait tout les dimanches un bon pain au four, sans doute le meilleur de Colombie !
Il y avait sur la ferme un coq aussi méchant qu'un chien de garde, il a fini a la casserole !
On se sert de la panela (sucre non raffiné) pour presque tout ici, Cynthia a même soigné l’œil d'un des lapins avec un sirop de panela !
La guérilla occupait la région, il y a encore quelques années, on pouvait entendre des fusillades !
J'ai préparé mon premier Sancocho (la soupe traditionnelle) ! Mais la yuca n'était pas cuite...
Il me fallait traverser un champ, une bambouseraie, une rivière et une colline de caféiers pour trouver internet... et c'était un raccourci !
A bientôt pour la suite
Finca Los Cachimbos
Pescador, Cauca, Colombia
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