"Nous ne sommes pas que propriétaires de la terre mais gardiens d'un bout de planète"
El MilAgro, c'est une petite ferme accrochée aux montagnes de la vallée du Cauca (Colombie), où vivent Martha et sa famille.
Cléa et Marine y étaient au mois de mars (Cléa est arrivée deux semaines avant Marine, qui a quant à elle découvert le proyecto Gaïa)
En arrivant là bas, on se sent tout de suite à l'aise avec l'accueil très chaleureux de Martha, ses parents et Gisele, qui nous ouvrent les bras et nous invitent à partager leur quotidien. Le contexte est difficile : la sècheresse est très forte, l'eau manque aux cultures nourricières.
C'est donc une ferme de trois hectares où l'on travaille, en famille, à la production et transformation d'un café naturel, sans aucun traitements, ni usages mécaniques.
Et d'ailleurs, pourquoi ce nom, el Milagro, qui signifie "le Miracle" ? Pour cela, il faut comprendre comment la famille Salcedo a pu acquérir le terrain en 2004. C'est grâce à Martha, l'aînée des enfants, qui a dû migrer pour des raisons économiques en France, pendant huit ans. Avec son travail, elle a pu mettre assez d'argent de côté pour acheter la ferme petit à petit. On réalise vite que pouvoir accéder à la propriété représente une possibilité rare et précieuse pour la famille. C'est donc pour eux un miracle que des paysans qui naissent sans terre puissent cultiver la leur !
Les terres acquises, il a fallu planter des caféiers, des arbres, et quelques cultures vivrières, pour transformer les pâturages en une réserve de biodiversité, et ainsi reboiser la zone. La famille (parents et enfants) a commencé la culture de café conventionnel, en utilisant des traitements chimiques. Mais rapidement, tous ont pris conscience qu'ils enrichissaient davantage les firmes de produits phytosanitaires qu'eux-mêmes... Donc ils ont décidé de se convertir à l'agriculture biologique. Ils expliquent d'ailleurs que d'autres paysans dans la zone n'utilisent pas non plus de traitements car ils n'ont pas assez d'argent pour en acheter. Mais on sent aussi chez eux la volonté de prendre soin de la flore qu'ils ont réintroduite, et de la faune qui revient peu à peu dans ce refuge de biodiversité. Martha dit d'ailleurs, en Français (qu'elle maitrise parfaitement) : "Nous faisons du bio pour que le sol reste vivant et on pense moins à la quantité qu'à la qualité. Nous ne sommes pas que propriétaires de la terre mais gardiens d'un bout de planète".
Ils mettent en place des pratiques agroécologiques et traditionnelles comme l'association des cultures ou le travail du sol en fonction du calendrier lunaire. La clé : observer et adapter le travail du terrain en conséquence. Le café nécessitant de l'ombre, différentes variétés de bananiers (famille des Musacées), guamos, citrus (agrumes) et autres arbres jalonnent le terrain pentu. En plus de réduire l'exposition directe avec le soleil, ils limitent aussi l'érosion des sols et le risque d'éboulements. Les feuilles des arbres permettent également, une fois sur le sol, de former une couverture végétale (aussi appelée "paillage"). Cela maintient la fraicheur et l'humidité, ce qui favorable aux micro-organismes. Associées à ces arbres et aux caféiers, on trouve des cultures d’amarante, des haricots, tomates, oignons, céleri, yucca (le manioc) (et d'autres tubercules), plantes aromatiques et médicinales,... Quand c'est moins sec, ils cultivent aussi du maïs, quinoa, betterave, carotte, etc...
En plus, la famille élève des cochons d'Inde. Si cet animal se mange (plus en Équateur qu'en Colombie), c'est ici davantage ses excréments qui sont utilisés pour l'abono (fertilisant naturel). On les ajoute au terreau du lombri-compost, de l'eau, de la terre et de l'urine humaine, puis ce mélange est répandu au pied des caféiers. A chaque ferme sa recette, avec ce qu'il y a sur place !
En allant là-bas, c'est avant tout la culture du café que nous avons découverte ! Les caféiers peuvent produire plusieurs dizaines d'années. Ici, toutes les étapes sont faites manuellement !
S'il y a deux grandes périodes de récolte (mai-juin, octobre-novembre), les baies rouges sont toutefois cueillies toute l'année. Nous garderons longtemps en mémoire le terrain très escarpé !!
Une fois récoltés, les "cerises" sont passées dans un cylindre pour les débarrasser de l'enveloppe rouge, et de la pulpe. Cela sépare aussi le grain en deux.
Puis ils sont mis à tremper environ une journée dans un bac pour les faire fermenter.
Il convient ensuite de les faire sécher quelques jours au soleil.
L'étape d'après consiste à enlever la deuxième enveloppe du grain à l'aide d'un pilon.
Lors des chaudes après-midi, nous effectuons la "sélection", où chaque grain est observé pour ne garder que les meilleurs.
Enfin, nous procédons à la torréfaction au feu de bois. Pendant plus d'une heure, il s'agit de faire noircir les grains d'une couleur verte-beige. Cette tâche est difficile car l'effectuer régulièrement expose les voies respiratoires à la fumée...
Pour vendre le café, il est souvent préférable de le moudre, même si les arômes se conservent mieux en grains.
Les Salcedo réalisent aussi un emballage artisanal très soigné à base d'écorce de bananier : le rendu est superbe ! Ainsi, tout est fait manuellement, jusqu'à l'étiquette elle-même !
Quant à la distribution, si une partie de la production est parfois vendue à la coopérative, ils essayent aujourd'hui de distribuer leur café directement au client. Il est ainsi valorisé comme il convient, au lieu d'être noyé parmi des cafés conventionnels. Les clients sont quant à eux sûrs de la qualité du café. De plus, vendre en circuit court, sans intermédiaire, assure une rémunération plus juste à la famille. En vendant à la coopérative, les producteurs sont tributaires des cours du café, alors que la vente directe au consommateur leur assure plus d'indépendance. Martha explique que "le prix du café étant très bon à l'époque, le gouvernement offrait des crédits à taux réduits à travers la banque agricole pour encourager la plantation de café... On a pas eu le choix. Le problème est que, semble-t-il, la banque mondiale a encouragé d'autres pays à faire de même. Plus d'offre, les prix chutent. Au tout début (vers 2010...) on a réussi à vendre quelques arrobas (1 arroba = 12,5 kg) de café à 115 000 pesos (environ 34€). Les dernières années, on nous a payé l'arroba maximum 18 000 pesos (5,30€)...".
Aujourd'hui, Martha vend la livre de café 12 000 pesos (3,50€). Si le bouche à oreille fonctionne bien, elle cherche quand même de nouveaux réseaux de distribution. Elle réfléchit en effet à des formes d'organisation pour faciliter la vente en circuit court, car, en dehors de la vente sur les marchés, ceux-ci sont encore peu développés dans la région.
La vente de café constitue l'unique revenu pour la famille, qui vit parfois jusqu'à sept sur la ferme. Il sert aussi de monnaie d'échange avec les voisins pour s'approvisionner en nourriture, ou pour les services rendus, sur le principe du troc.
L'enjeu est donc de pouvoir assurer l'autonomie alimentaire grâce aux productions vivrières de la ferme.
Martha, à propos de la résistance du Milagro
Mais cet enjeu est rendu difficile à cause des effets directs du réchauffement climatique. Les conséquences de celui-ci se font largement ressentir sur la ferme et dans la région. Au moment où nous y étions, la sécheresse était très forte. Les phénomènes du Niño et de la Niña (que nous avons expliqués dans un précédent article) sont chaque année plus extrêmes.
Les conséquences de l'élevage intensif sont aussi déplorables. Le déboisement pour la création de pâturage a entrainé une érosion des sols. Mis à nus, ces derniers ne retiennent plus les fortes pluies de l'hiver, ce qui provoque des coulées de boues et des éboulements dévastateurs.
Par ailleurs, à cause du réchauffement climatique, une restriction d'eau a été mise en place. A partir de 19h, l'eau est coupée pour ne pas arroser. Or, cette mesure ne s'applique pas aux éleveurs de vaches... Martha dit : "on a des terres fertiles mais on n'a pas d'accès suffisamment à l'eau, surtout pour cultiver. Il semble que c'est plus important l'eau pour les élevages que pour planter notre propre nourriture..."
Ces restrictions d'eau sont aussi contournées dans la vallée où est cultivée, à perte de vue, la canne à sucre. Cette monoculture intensive très nocive pour l'environnement, monopolise les terres non pas à des fins alimentaires mais au profit de l'industrie des bio-carburants destinés à l'exportation...
Les cultures résistent donc avec difficulté face à la sécheresse, il n'y en a pas assez pour la famille, et il leur devient nécessaire d'acheter plus de nourriture qu'auparavant. Pour tendre vers toujours plus d'autonomie, Martha évoque la nécessité de diversifier l'économie. Elle pense par exemple à l'accueil touristique. Mais elle croit surtout que l'agriculture de la région va être de plus en plus une agriculture de subsistance.
L'adaptation au changement climatique est donc devenu une urgence. Cela demande de trouver des cultures plus adaptées, planter des arbres (pour faire de l'ombre et récolter leurs fruits), et imaginer des solutions créatives ! Il existe par exemple des pièges à brouillard, sorte de grands filets pour retenir les gouttelettes d'eau, que la famille souhaiterait tester puisque tous les matins sont brumeux.
La meilleure des solutions, mise en pratique depuis quelques années, reste les toilettes sèches. Pour Martha, "il est inconcevable aujourd'hui de faire encore ses besoins dans de l'eau potable" ! Dans ces toilettes, on n'utilise pas de la sciure de bois, mais l'enveloppe du café séché, et de l'amarante, quand les graines ont été récoltées.
Si l'économie d'eau est significative, les eaux usées ne contaminent plus la nature. Autre apport : les déchets. Mélangés à de la matière organique, les urines et matières fécales sont compostées deux ans pour assurer leur absorption totale. Le terreau résultant est ensuite utilisé comme engrais car très fertile !
Ce sont ces difficultés auxquelles font face les paysans de la région qui contraignent les jeunes à migrer. Ils partent pour trouver du travail et assurer un apport extérieur à la ferme familiale. Beaucoup survivent ainsi, car sans celui-ci, il semble très difficile d'être rentable économiquement. Martha déplore le peu d'aides de la part des autorités publiques, l'isolement, même s'il existe une forte solidarité entre voisins. Il y aurait besoin de plus de travail d'éducation ainsi qu'un soutien pour accompagner la transition vers le biologique. Un accompagnement à la création de formes d'organisation entre producteurs (comme les coopératives) serait aussi une solution selon elle.
Mais on sent que même si les conditions sont difficiles, l'envie de sauvegarder le travail et transmettre les connaissances de ses parents est très forte chez Martha. Sa passion pour la nature prend le dessus, et la volonté de préserver cet écosystème. Contrairement à beaucoup, elle est fière d'être paysanne. "Pour nous le rêve c'était d'avoir une terre, mais souvent si c'est une terre qui a été héritée, c'est une charge." Elle dit que cette vision change lentement en Colombie, mais pas trop dans sa région :"Il n'y a pas d'exode de gens qui quittent la ville pour aller cultiver la terre, (avoir une ferme) ce n'est pas un choix. C'est notre choix ici (d'avoir acheté la terre) qui nous aide à tenir le coup".
Elle conclue : "Le luxe ce n'est pas quelque chose qui nous intéresse, par contre une vie digne, oui, l'accès à l'eau, pouvoir produire des aliments sains".
C'est donc un séjour incroyable que nous avons passé là-bas, sur les montagnes del Valle del Cauca. Apprenant chaque jour aux côtés de cette famille, de la force extraordinaire de Martha, de la joie de vivre débordante de chacun-e ! Entre dégustation de bananes et agrumes lors des pauses, partages et expérimentations culinaires au feu de bois, rénovation d'un four à pain, maçonnerie, cours d'anglais donnés aux sept élèves de l'école, les tours en moto, admiration de la superbe vue, les savoirs sur les plantes médicinales, les chants, et les discussions super enrichissantes, ... etc ... on ne voulait plus partir ! Merci pour ces moments simples mais riches...
La préparation des galettes de maïs au feu de bois
Gisele et le four à pain
Nelsy est une source inépuisable de connaissances sur les plantes médicinales. Elle fabrique même un baume apaisant les douleurs musculaires à base de cannabis !
Chez le voisin et ami, Gregorio
La récolte de zapote pour le goûter
Gregorio est surement le seul qui donne des cadeaux le jour de son anniversaire !
Nous avons appris à faire du beurre de cacahouètes, miam !
Les araignées étaient grosses...
Régulièrement, des étudiants en agroécologie viennent visiter El MilAgro et faire des chantiers
Finca EL MILAGRO - ITACA
Famille Salcedo
Vereda Buenavista
Roldanillo - Valle del Cauca
Colombia
agroecologicaelmilagro@gmail.com
(00 57) 315 657 75 34
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